Le 5 janvier 2021, les Recteur.rice.s et Président.e.s des Universités ont reçu une note de service concernant le déploiement de la certification en anglais dont la passation est rendue obligatoire dès 2021 pour les étudiant.e.s. Cette certification en anglais devient dès lors une condition pour l’obtention de ce diplôme national même si aucun niveau particulier n’est attendu. La procédure du marché public étant achevée, la communauté universitaire (enseignant·e·s et/ou chercheur·euse·s, personnels administrativo-pédagogiques, étudiant·e·s,) apprend que l’entreprise choisie est peu connue dans le milieu des organismes certificateurs : branche de PeopleCert, entreprise de certification de compétences professionnelles, LanguageCert est une entreprise grecque privée qui annonce pouvoir certifier trois langues (anglais, espagnol et turc).
Par le présent communiqué, les associations ayant déposé un recours au Conseil d’État en septembre 2020 réaffirment leur opposition totale à l’obligation d’une passation d’une certification en langue anglaise. En effet, pour rappel, voici les conséquences possibles d’une telle mesure :
– financement d’organismes privés par de l’argent public subordonnant l’obtention d’un diplôme national public à la passation d’une certification privée alors même qu’il existe des dispositifs publics et gratuits d’attestation et de certification des compétences langagières dont les liens avec la recherche sont attestés ;
– gaspillage des deniers publics puisque le Ministère de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) impose une certification à l’ensemble des étudiant.e.s de licence sans exiger un niveau de langue à valider (le Ministère exige uniquement que les étudiant·e·s « passent » la certification pour obtenir la licence) ;
– dessaisissement de la politique linguistique des universités au profit de sociétés privées alors même que des dispositifs publics reconnus existent. Une telle mesure va à l’encontre de l’autonomie des universités et de leur liberté pédagogique en matière de politique linguistique et de formation ;
– déni des compétences des enseignant.e.s de langues qui sont pourtant les mieux armé.e.s pour concevoir des dispositifs de qualité et des évaluations pertinentes, en adéquation avec les besoins des apprenant.e.s. Il est clair que ni l’expertise des enseignant·e·s de terrain, ni les chercheur·euse·s en didactique des langues n’ont été entendu·e·s par le MESRI alors même que la communauté s’est mobilisée de manière sans précédent en déposant un recours commun par 15 associations ;
– uniformisation des pratiques dans une seule visée certificative et dans une perspective utilitariste. Les enseignements de langue risqueraient de se transformer en des cours de bachotage afin de préparer les étudiant.e.s aux exercices standardisés de la certification (avec apparemment seulement 2 compétences évaluées), totalement déconnectés de tout contexte et sans aucune prise en compte des besoins individuels et/ou professionnels des étudiant.e.s. Il est clair que cela provoquerait un appauvrissement programmé des compétences en langues étrangères des étudiant·e·s. À terme, cette mesure pourrait signer la fin possible de l’enseignement des langues à l’université remplacé alors par une simple certification à passer.
Ainsi, après la mobilisation et les multiples appels de la part d’enseignant·e·s, chercheur·euse·s, universitaires, associations, représentant·e·s des étudiant·e·s en langues, élu·e·s locaux·ales et nationaux·ales resté.e.s sans réponse, le MESRI a finalement consenti à rédiger une réponse standard indiquant que cette mesure ne remettait nullement en cause le plurilinguisme, puisque les étudiant.e.s pourraient s’inscrire au CLES afin d’être certifié.e.s dans les autres langues que l’anglais. La simplicité de la réponse proposée par le Ministère témoigne d’une méconnaissance flagrante du terrain, car il s’agit bel et bien d’une atteinte au plurilinguisme. En effet, et a fortiori dans un contexte de pénurie systémique et durable de moyens dans les universités, un grand nombre d’universités n’offre aux étudiant.e.s que la possibilité d’étudier une seule langue. Il est donc facile de comprendre que les étudiant.e.s délaisseront les autres langues pour se concentrer sur l’apprentissage de l’anglais. La conséquence sera un appauvrissement des profils des étudiant·e·s en termes de langues vivantes, et donc, à terme, d’une perte de compétences linguistiques au niveau national. Cela revient également à imposer à des étudiant·e·s qui n’ont jamais fait d’anglais, qui s’identifient à d’autres langues ou qui n’ont pas de projet avec l’anglais à se confronter à un résultat très dévalorisant (niveau inférieur à celui attendu à l’université), sur le plan professionnel, et pouvant provoquer une insécurité linguistique, sur le plan personnel, alors même qu’ils ont d’autres compétences linguistiques qui gagneraient (symboliquement et professionnellement) à être reconnues. La mesure est donc totalement contre-productive.
Enfin, l’argument phare du Ministère pour justifier la mise en place de cette mesure réside dans la « reconnaissance internationale » de la certification choisie. Or, l’entreprise sélectionnée PeopleCert est peu connue et, à nouveau, le choix même de cette entreprise contredit l’argument de cette reconnaissance internationale tant valorisée par le Ministère. La question de la légitimité de cette entreprise se pose, de même que la question de la pertinence des critères d’attribution du marché et des modalités de sélection de l’entreprise retenue. Enfin, les étudiant.e.s seront en droit de se demander si seule cette certification sera offerte par le Ministère car, devant l’absence de notoriété de cette dernière, un grand nombre d’étudiant.e.s continueront à devoir financer personnellement d’autres certifications plus reconnues par les milieux socio-économiques, et par les universités en Europe et dans le monde; une certification reconnue étant souvent exigée pour la mobilité internationale.
Le mouvement inter-associatif déplore l’entêtement du Ministère à rendre obligatoire, a fortiori dès 2021, et dans les conditions actuelles de crise sanitaire qui appelle les universités sur d’autres fronts autrement plus essentiels, la passation d’une certification en dépit de l’opposition massive des enseignant.e.s de langues, des spécialistes en didactique des langues et en langues de spécialité, des associations d’étudiant.e.s, de défense du plurilinguisme et des langues régionales.
La décision des juges du Conseil d’État est attendue pour le printemps.
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- L’Association des Chercheurs et Enseignants Didacticiens des Langues Étrangères (ACEDLE) https://acedle.org/
- L’Association pour le Développement de l’Enseignement de l’Allemand en France (ADEAF) https://adeaf.net/
- L’Association Française d’Études Américaines (AFEA) http://afea.fr/
- L’Association Française de Linguistique Appliquée (AFLA) http://www.afla-asso.org/
- L’Association Francophonie Avenir (AFRAV) https://www.francophonie-avenir.com/
- L’Association des Germanistes de l’Enseignement Supérieur (AGES) http://de.ages-info.org/fr/
- L’Association des Professeurs de Langues en Instituts Universitaires et Technologiques (APLIUT) https://apliut.fr/
- L’Association pour la Recherche en Didactique de l’Anglais et en acquisition (ARDAA) https://ardaa.hypotheses.org/
- L’Association de Didactique du Français Langue Etrangère (ASDIFLE)
- La Fédération Nationale des Associations Étudiantes Linguistes (FNAEL) https://www.fnael.org/
- Le Groupe d’Étude et de Recherche en Anglais Spécialité (GERAS) https://www.geras.fr/
- L’Observatoire Européen du Plurilinguisme (OEP) https://www.observatoireplurilinguisme.eu/
- Le Rassemblement National des Centres de Langues de l’Enseignement Supérieur (RANACLES) https://www.ranacles.org/
- La Société des Anglicistes de l’Enseignement Supérieur (SAES) https://saesfrance.org/
- La Société des Italianistes de l’Enseignement Supérieur (SIES) https://www.sies-asso.org/
- L’Association pour le Développement de l’Apprentissage des Langues par les Systèmes d’Information et de Communication (ADALSIC)